Doña Quichotte et le parc éolien en mer

Ceci est l'incroyable histoire de Doña Quichotte et d’un parc éolien en mer sur la côte Atlantique. Cela ressemblait à un matin ordinaire de septembre 2023. Il avait plu exceptionnellement cette nuit-là, mais le vent venait de tomber et le ciel était particulièrement dégagé. La vue était splendide. L’océan était calme mais il y avait encore beaucoup de vagues. En regardant par la fenêtre de sa chambre, Doña pensa « La fortune conduit mes affaires mieux que nous n'eussions su désirer » et prit sa décision. Pour cette occasion exceptionnelle, elle s’arma de pied en cap. Et même s’il est bon de donner du temps au temps, il était temps de partir.

Elle naviguait maintenant avec Sancho, sur un petit bateau de pêche prêté, au dernier moment, par un ami de ce dernier, qu'elle avait sollicité en se rendant au port. Pendant des années, elle s'était battue pour rendre le monde meilleur et il l'avait toujours accompagnée dans cette quête. Au fil du temps, il était devenu une sorte d'ange gardien pour elle.

- Sancho, mon cher ami, vous devez manier les rames plus vite et plus fort, sinon nous n'y arriverons jamais !

- Doña, je fais de mon mieux ! Mais le vent et les vagues sont contre moi !

- Il est indispensable que nous soyons à temps au parc éolien, avant sa consécration !

- Mais, chère Doña, qu'avez-vous en tête ? demanda Sancho assez inquiet.

 Il ne comprenait pas très bien ce qu'ils faisaient dans cette nouvelle galère. Il n'aimait pas l’océan en général, et certainement pas cet Atlantique perfide qui lui rappelait trop les déboires de la Grande Armada, en ce mois de septembre maléfique. Doña essaya de l'encourager en chantant très fort « Ohé ! Ohé ! Matelot, matelot navigue sur les flots » Mais en lui-même, Sancho pensait plutôt : « Au même instant un grand miracle, au même instant un grand miracle, pour Sancho fut-fut-fut réalisé, et le bon ra-ra-rameur fut sauvé, Ohé ! Ohé ! ». 

Il soupira, puis reprit la parole :

- Pourtant, vous aimiez bien ces moulins, il me semble, malgré leur taille ?

- Oui, bien sûr ! Laissons-les tourner vite et bien, car il apparaît impossible de maintenir le caractère décarboné de l’électricité en France sans une part très significative d’énergies renouvelables.

- Mais, répondit Sancho, surpris par ces paroles de sagesse, un peu inattendues dans la bouche de la Doña, pourquoi allons-nous au parc éolien ? Et surtout aujourd’hui pour cette inauguration ? Que désirez-vous y faire ?

- Sancho, mon bon ami, au cours de cette cérémonie, je souhaite attirer l'attention du monde sur notre planète désolée et faire campagne pour la lutte contre le changement climatique, positivement ! Le meilleur moyen de donner l'alerte, c'est de troubler nos consciences. Car si nous ne changeons pas de civilisation, ce sera la fin de la civilisation. Ces démesurés géants vont nous aider dans notre combat titanesque !

- Dites-moi au moins ce que vous souhaitez faire, pour que je puisse vous aider ! la pressa Sancho.

- Mon brave ami, réjouissez-vous ! Je vous promets que la presse internationale racontera abondamment notre belle épopée. Cette journée restera gravée dans la mémoire collective comme un symbole puissant de lutte contre les forces maléfiques qui détruisent notre planète ! Je le dit haut et fort : Jour heureux, Jour glorieux !

- Illustre Dona, au nom de notre amitié, …

- C’en est assez Sancho ! Taisez-vous ! Plongez avec plus de force vos avirons dans les flots tumultueux !

Une heure plus tard, ils atteignaient enfin le parc des quatre-vingts éoliennes, bien alignées en merPendant le discours d’inauguration prononcé par le Président de la République, Doña Quichotte, en bonne activiste écologiste qui se respecte, colla ostensiblement sa main gauche sur le corps métallique d’une des éoliennes et se mit à le frapper, en rythme, avec sa lance. Quelle cabale! Pour attirer l’attention, cela attira l’attention. Sancho trouvait que cela faisait un bruit de vieille casserole, et malheureusement pour elle, il ne fut pas le seul.

On la décolla sans problème avec du Coca-Cola, à la grande admiration de Sancho : ce liquide avait vraiment des propriétés miraculeuses ! Puis, sans façon, on les embarqua tous les deux au commissariat le plus proche.

Le soir-même, pour ce fait d’armes hautement symbolique et combien pacifique, elle fît effectivement la une du journal télévisé de 20 heures. Mais elle ne pût pas le regarder en direct. Sancho non plus, d’ailleurs. 

Assis sur un banc du poste de police, menotté, il souffrait mille morts. Il était dépassé par l’inégalité de ce combat. Il avait entendu des lambeaux de conversation venant du bureau voisin:  garde à vue, chef d’accusation, utilisation illégale d’une arme non à feu, arrêté préfectoral, Président, périmètre de protection, sécurité globale, acte de terrorisme, amplificateur de sons… Toutes ces bribes de phrase tournaient en boucle dans sa tête.

Et pour comble de malheur, il n’arrivait même plus à se souvenir du nom de son avocate, seule personne de confiance qui pourrait démêler cet imbroglio juridique et les faire remettre en liberté.

FIN

Pour la génèse de cette nouvelle, lire mon blog : Ceci n’est pas un poisson d’avril !

Précédent
Précédent

La grande réinitialisation

Suivant
Suivant

Un faux bourdon ne fait pas le printemps