Le feu de camp

Créer c’est résister, résister c’est créer!

Stéphane HESSEL

Vendredi. Vingt-trois trente heures. Les branches de pin sec crépitent. Les flammes dansent au dessus du foyer. Le feu jette ses lueurs chatoyantes sur les jeunes gens qui sont rassemblés autour. Ramasser du bois a été un effort collectif en fin d’après-midi. La colline, au dessus de la plage, a été mise à contribution : on y trouve encore du bois mort et des pommes de pin en quantité. Il a fallu en récupérer suffisamment, pour pouvoir tenir une partie de la nuit. Mais ce n’est pas un problème pour eux : ils ont l’habitude.

Le foyer a été préparé selon les règles de l’art, comme tous les ans. D’abord creuser un trou profond d’environ cinquante centimètres ce qui permettra de recouvrir les cendres, à la fin de la soirée. Ainsi les estivants ne seront pas confrontés aux morceaux de charbon de bois, le lendemain matin, en arrivant sur la plage. Et puis, parfois, le feu enterré continue à faire sentir sa chaleur, alors ces jeunes ne veulent pas que les gens se brulent les pieds. 

Ensuite, utiliser la technique de la pyramide, pour mettre en place les branches de bois mort, pour assurer un bon tirage : un peu de papier au fond du trou, les brindilles et les pommes de pin par dessus, enfin les branches plus grosses, appuyées les unes sur les autres, comme un tipi et formant une sorte de cheminée. Si le bois est bien sec, le feu démarre sans problème. 

 Ils sont regroupés autour du foyer, depuis la tombée de la nuit. Ils se connaissent bien, pour certains depuis très longtemps, parfois plus de quinze ans. La plupart vient en vacances, sur cette plage, depuis des années. Certains, qui habitent dans la région, étaient même à l’école ensemble. Et tous les ans, ils reviennent pour se retrouver quelques jours : c’est comme une sorte de pèlerinage, de retraite annuelle. Parfois, des nouveaux se joignent au groupe, introduits par les habitués. 

 Anaïs, une jolie brunette aux yeux noisette, est étudiante en médecine. Ses grands-parents ont une maison en première ligne, depuis plus de cinquante ans. Elle est pratiquement née sur la plage, dit sa mère en riant. Camille, son amie d’enfance, est aussi blonde qu’Anaïs est brune. Tous les ans, elle vient passer une partie de ses vacances ici, avec son amie. C’est une bosseuse et elle a choisi de faire du droit. Nicolas, le parisien en vacances, est étudiant en économie. Cette année, il porte une petite barbe blonde. Depuis des années, il est ici deux semaines en été et son charme naturel l’a fait accepter par le groupe, malgré son accent et son impulsivité parfois dérangeante. 

 L’amitié entre Alice et Emmanuel, est née ici, lorsqu’ils avaient cinq ans et que leurs parents louaient des maisons voisines, derrière celle des grands-parents d’Anaïs. Alice est un peu rouquine et sera assistance sociale. Manu est le philosophe et parfois la conscience du groupe. Jonathan, qui était au lycée avec Anaïs et Camille, veut devenir professeur comme ses parents, qui sont enseignants en ville. Il a beaucoup d’humour. Alex est le petit ami d’Alice. C’est un passionné d’informatique, nouveau venu dans le groupe. Guillaume, le meilleur ami de Manu, est un beau ténébreux et a trop de talents : il n’arrive pas à choisir et hésite encore sur son avenir. Cette année, il ne manque que Louise à l’appel, la sœur de Guillaume : elle est en Grèce.   

 De temps en temps, des flammèches s’envolent, poussées par le vent, mais s’éteignent rapidement, en retombant au sol, à moins d’un mètre du foyer. Ce n’est pas ce soir que l’on mettra le feu à la colline. L’odeur douceâtre de bois de pin se mêle à celle plus piquante et salée de la mer. On entend le ressac des vagues qui se brisent sur le sable, un peu plus loin. Deux ou trois jeunes, couchés sur le dos regardent le ciel constellé d’étoiles. Il n’y a pas un nuage.

 -   Là ! Regarde ! Une étoile filante ! Tu l’as vue ? demande Camille.

-    Fais un vœu, vite ! Mais ne nous dis pas ce que c’est ! lui répond Alice.

-   Eh, les filles ! Vous croyez toujours à ces trucs-là ? demande Guillaume. On a passé l’âge, il me semble.

 Les deux amies rient en chœur, mais ne lui répondent pas et continuent de scruter le ciel, pour y lire leur bonheur futur.

 Quelques instants plus tard, trois jeunes s’approchent du groupe et du feu. Deux filles et un garçon. Cela fait un certain temps qu’ils sont assis sur la plage, un peu plus loin et on sent bien qu’ils les regardent avec envie. 

- Excusez-nous, vous avez du feu ? Mon briquet ne marche plus, demande l’une des filles.

- Bien sûr, répond Jonathan en leur montrant les flammes, servez-vous.

- Merci. C’est gentil, dit-elle en allumant sa cigarette. On peut s’asseoir un peu avec vous ? Il fait bon près du feu ! dit-elle en se frottant les mains, de manière un peu exagérée.

- Pas de problème, il y a de la place pour tout le monde, répond Nicolas, sans consulter les autres, toujours prêt à tester son charme sur une jolie fille.

 Car la fille à la cigarette est bien jolie dans la lueur des flammes qui dansent. Nicolas l’avait déjà repérée sur la plage, dans l’après-midi. Mais il n’avait pas remarqué qu’elle était encore là, à cette heure-ci. Elle se présente en disant : 

- Je m’appelle Laura, et voilà mes cousins, Morgane et Kevin. On est en vacances au camping, on vient d’arriver. Et vous ?

 Les amis rassemblés autour du feu se présentent un par un, en commençant par Nicolas, bien sûr. Après le tour de présentation, il ajoute à l’attention des nouveaux arrivants : 

- On était en train de discuter de ce que l’on voulait faire plus tard.

- Moi, dit Laura, je suis actrice. J’ai déjà fait quelques petits court-métrages et je me prépare pour un film. Je pense bientôt aller travailler aux States[1].

 Les amis sont visiblement un peu surpris par cette entrée en matière très directe. Et puis, ce n’est pas souvent que l’on rencontre une actrice.

  - Voilà ! Mon vœu est exaucé ! dit Nicolas, charmeur et un peu théâtral. Une étoile est finalement tombée sur cette plage !

 Laura roucoule de plaisir à ces mots.

  - Il paraît que le milieu du spectacle n’est pas facile, enfin, je veux dire, pour y faire carrière, dit Alice pour alimenter la conversation.

- Heureusement, il y a toujours de la place pour les gens qui ont du talent, réplique Laura, un peu supérieure.

 Un silence se fait autour du feu. Ils regardent les flammes dansantes et multicolores. Seuls Nicolas et Laura se regardent en souriant, par dessus le foyer, visiblement intéressés l’un par l’autre. Puis, après un petit moment, Morgane prend la parole et demande :

- Vous passez toutes vos soirées, ici, comme ça ? Ou bien il y a une boite un peu sympa dans le coin où on peut s’éclater ? 

- C’est notre dernière soirée ensemble, alors on préfère rester sur la plage, pour discuter, lui répond Guillaume. Les boites et le bruit, c’est par là ! ajoute-t-il en montrant la direction du port. Et avec un sourire enjôleur mais extrêmement hypocrite, il ajoute : on ne vous retient pas.

 Laura ne relève pas le commentaire et dit à la cantonade :

- Vous repartez déjà demain, c’est dommage.

- Non, répond Alice, juste Guillaume, Jonathan, Alex et moi. Les autres restent encore quelques jours.

- Ah ? Tant mieux, dit Laura, d’un ton soulagé. Enfin, je veux dire, pas que vous partiez, mais que les autres restent, corrige-t-elle en regardant Nicolas intensément.

- Vous avez de quoi boire ? demande Kevin. Nous, on a fini nos bières.

Trois gobelets en plastique apparaissent et sont passés à Laura, Morgane et Kevin avec une bouteille de vin rosé. Tout le monde en profite pour remplir son verre. 

Au bout de quelques instants de silence, Nicolas prend la parole :

- Finalement, Manu, je crois que je ne comprends pas très bien ce que tu as dit tout à l’heure, au sujet du travail. Que, sans travail, on n’est rien. Ça me paraît un peu bizarre comme conclusion. Le travail ce n’est pas tout, bien sûr, mais c’est vachement important d’avoir un bon boulot.

- Ce que je veux dire, c’est que si tu ne travailles pas pour gagner de l’argent ou si tu es au chômage, quelle qu’en soit la raison, les gens considèrent que tu n’as aucune valeur, lui répond Manu. Donc sans travail, tu n’existe plus en tant qu’individu.

- C’est vrai, regarde comment on se présente les uns aux autres, ajoute Jonathan. Par nos fonctions. Manu, philosophe. Alice, assistance sociale. Anaïs, étudiante en médecine. Laura, actrice. 

- Morgane, esthéticienne, ajoute cette dernière.

- Kevin, chômeur, complète ce dernier d’une voix un peu amère.

 Un instant de silence se fait, puis Jonathan continue sa pensée :

- On présente ce que l’on fait, pas qui on est. Je ne dis pas : Jonathan, fils de Françoise et Pierre, ni Jonathan, généreux, fidèle en amitié et drôle.

- Dans certains cas, renchérit Manu, rebondissant sur la remarque de Kevin, en tant que chômeur, tu es même considéré comme un profiteur qui ne souhaite rien faire d’autre que de toucher des allocs. 

- Mon voisin, c’est tout à fait ça, remarque Kevin. De toute manière, dans l’immeuble où j’habite, il y en a tellement de gens au chômage que c’est plutôt ceux qui travaillent qu’on regarde bizarrement.

- La valeur d’un individu est définie par son travail, rajoute Manu, et pas par sa personnalité, ses compétences.

-  Je suis bien d’accord avec toi, répond Kevin. Ça fait deux ans que je cherche du boulot. J’ai plein de qualités, sauf que les employeurs ne les voient pas et il n’y a pas de travail pour moi.

 A sa voix, on se saurait dire s’il est sérieux ou non. Laura sort son téléphone de son sac et commence à faire des selfies, devant le feu. Elle n’a pas vraiment l’air d’écouter la conversation, surtout intéressée par Nicolas et elle-même.

- Pour moi, c’est un peu pareil, dit Guillaume. Quand je dis que je veux travailler avec mes mains et devenir menuisier, les gens me regardent avec un air bizarre et pensent que je suis fou. Mes parents voudraient que je continue mes études, mais je n’en ai pas trop envie. J’aime utiliser ma tête mais je préfère travailler avec mes mains.

- Ah bon ? demande Morgane, un peu surprise mais visiblement intéressée par Guillaume. Et ça gagne bien sa vie, un menuisier ? Mon père dit que les plombiers se font plein de fric. 

- Voilà, c’est exactement cela, ajoute Manu. La valeur de quelqu’un est fonction de son travail et de ce qu’il gagne, pas de la valeur humaine de cette personne pour la société.

 Laura interrompt ses prises de vue pour dire :

- Si je suis actrice, c’est bien pour gagner de l’argent. Et toi, demande-t-elle à Nicolas, tu veux faire quoi ?

- Moi, je vais devenir trader et m'en mettre plein les poches, lui répond Nicolas, sur un ton très sérieux.  

Mais quand il voit la tête de ses copains, il rajoute rapidement : mais non, je plaisante !

- Pourquoi ? Il n’y a rien de mal à vouloir gagner de l’argent, réplique Laura avec un air un peu surpris.

- Non, bien sûr, dit Nicolas. C’est plutôt la façon dont on le gagne qui importe. 

- Pourquoi ? L’argent, c’est l’argent. Quand tu es au chômage, tu n’as pas vraiment le choix, tu prends ce que tu trouves, dit Kevin. 

- C’est justement ce système-là qu’il faudrait changer, dit Manu. Si tout le monde avait un revenu de base pour vivre, il n’y aurait plus de problème. Chaque individu pourrait mettre ses capacités au service des autres, indépendamment du fric. 

- Moi, je veux bien mettre mes capacités au service des autres, mais ce n’est pas gratuit, répond Morgane. Je n’ai pas l’intention de me contenter d’une allocation de misère, sans être payée. Mon salaire d’esthéticienne n’est pas terrible mais c’est mieux que le RSA[2]. Je peux m’acheter plein de trucs.

 Manu explique alors à ses amis les principes du revenu de base et pourquoi il aimerait bien que ce système soit mis en place. Laura, elle, continue de faire des selfies, maintenant avec Morgane. Cette dernière, qui semble y être habituée, se laisse photographier sans rien dire.

- Ton système me semble intéressant, lui dit Anaïs. Mais comme je veux devenir médecin et travailler sur le cerveau, j’aurais besoin d’argent pour la recherche. Je voudrais savoir où je suis dans ma tête et pourquoi les gens font ce qu’ils font, même s’ils savent que c’est contraire à leur bien-être. 

- Tu devrais venir suivre quelques cours de philosophie avec moi, répond Manu en riant. Et il ajoute rapidement : viens avec Alice !

- He ! Tu ne vas pas me piquer Alice de cette manière là, dit Alex qui, jusque là, était plongé dans son téléphone portable.

- Ah ! Voilà ! Victoire ! Alex lâche son portable et revient sur la planète des humains, dit Manu en riant. Alice, tu es plus importante pour lui que son téléphone : tout espoir n’est pas perdu !

- Arrête de dire des bêtises ! réplique Alex. Tu ferais mieux de te concentrer sur Anaïs. C’est un cœur à prendre. 

- Des cours de philo, pourquoi pas ? ajoute Anaïs songeuse sans relever ce qu’Alex vient de dire. A table, l’autre jour, on avait une discussion sur le chômage avec mes parents. Ils disaient que je ne devrais pas me faire du souci pour mon avenir, car comme médecin, j’aurais toujours des gens à soigner. Que c’était une profession utile, pas comme la philo ou la sociologie. On a failli se disputer. Parfois, ils peuvent vraiment dire n’importe quoi.

- J’aurais bien aimé voir ça, dit Manu. 

- Anaïs, à mon avis, là, tu viens vraiment de lui faire plaisir, dit Alice en riant. Puis, voyant sa réaction, elle ajoute : Manu, ne prend pas cet air faussement surpris et ne fais pas semblant de découvrir Anaïs, s’il te plait. Il y a trop longtemps qu’on se connaît. 

- Mais voilà, justement, répond-il en riant lui aussi, depuis tout petit, quand on jouait à cache-cache ensemble, dans les ruelles là-derrière, moi, je voulais déjà me marier avec elle !

 Alice et Anaïs regardent Manu avec surprise. Il les regarde en retour avec un air angélique. C’est la première fois qu’elles l’entendent dire ça et elles se demandent s’il plaisante. Manu n’est pas quelqu’un qui parle de ses sentiments. Laura continue à faire des selfies avec Morgane, puis avec Kevin, qui n’a visiblement pas envie de se laisser photographier comme ça. Il lui dit, irrité :

- Arrête, Laura ! Tu nous gaves avec tes photos.

Sans réagir à la remarque de Kevin, elle va se mettre à coté de Nicolas, pour prendre une série de photos avec lui, de tous les deux, de Nicolas avec le feu, puis d’elle avec le feu. 

- C’est juste pour avoir un souvenir de toi ! dit-elle pour se justifier, avec un sourire enjôleur, à son adresse.

 Alice, un peu énervée par ce manège, se lève et va chercher quelques branches sèches dans le tas de bois qu’ils avaient formé, un peu à l’écart du foyer. Anaïs se lève pour aller l’aider.

- Il n’y a presque plus de bois, dit-elle en revenant. Finalement, on n’en a pas ramassé assez cet après-midi.

- Alice, comme il est déjà presque minuit, c’est tout relatif, dit Alex en lui prenant la main gentiment pour qu’elle se rasseye à côté de lui.

- Minuit, déjà ? Un bain de minuit ! C’est ça qu’il nous faut, dit brusquement Nicolas. Qui vient avec moi ? Et joignant le geste à la parole, il se lève d’un bond, se déshabille rapidement et se retrouve en maillot de bain devant le feu.

- C’est une bonne idée, lui répond Laura enthousiaste. Elle se lève vivement et ôtant ses vêtements, elle ajoute : je viens avec toi. 

Un concert de « bonne idée », « super » et de « tout nu », leur répond. Seule Anaïs décline l’offre.

- Pas pour moi, ce soir, dit-elle, en s’asseyant. Je vous attends ici et je vais ranimer le feu.

- Bon, alors je reste pour te tenir compagnie, déclare Manu en se plaçant à coté d’elle. 

- Soyez sages tous les deux, leur jette Nicolas, par dessus son épaule, déjà en train de courir vers la mer, suivi par Laura.

- Parle pour toi, lui répond Manu avec un grand sourire moqueur.

 Tous les autres se déshabillent rapidement et partent en courant vers l’eau. On les entend parler bruyamment. Comme d’habitude, les garçons vont enlever leurs maillots de bain au dernier moment, avant de plonger d’un seul coup dans l’eau. Les filles, elles, y rentreront plus doucement. Leurs voix portent bien ce soir et on peut pratiquement comprendre toute leur conversation.

 Anaïs et Manu restent silencieux et écoutent leurs amis.

- Oh ! Ce n’est pas froid ! dit Laura. Non ! Nicolas, pas ça ! Je ne veux pas me mouiller la tête.

- Trop tard ! lui répond-il. Je vais te noyer.

On entend des éclaboussures, des cris, des rires. Tous ces bruits se mélangent.

  -  C’est une affaire qui marche, dit Manu. Nicolas est vraiment incorrigible. Dès qu’il voit une jolie fille, on ne le retient plus.

- A mon avis, Laura ne sera pas contre, quand on voit comment elle le dévore des yeux, ajoute Anaïs en riant.

 Un silence se fait entre les deux amis qui regardent le feu.

- Il reste des guimauves ? demande Manu.

- Il n’en reste plus qu’un paquet, lui répond Anaïs. Tiens, tu en veux ? Il y a encore des chips. Un peu de muscat ?

 Il lui tend son verre qu’elle remplit. Puis elle jette, sur les braises, les branches qu’Alice avait ramenées. En silence, ils regardent le feu refaire des flammes et crépiter. Manu prend quelques guimauves dans le sac. Il en fait deux brochettes qu’il place au-dessus des flammes pour les faire fondre. Une pour elle, une pour lui. Au bout de quelques instants, il en tend une à Anaïs.

- Je ne comprends pas pourquoi on continue à faire griller des guimauves. En fait, ça n’a pas beaucoup goût. On faisait ça quand on avait dix ans. On a un peu passé l’âge, non ? dit Anaïs.

- Non, lui répond-t-il. C’est bon car elles ont le gout de la nostalgie… 

 Les bruits venant de la mer diminuent. Les autres ont dû décider de nager vers les bouées. On ne va pas tarder à entendre un des garçons dire qu’il a senti une méduse ou vu un requin, histoire de faire peur à Laura et Morgane. Puis, on entendra leurs hurlements de panique. Et ce sera le signal pour sortir de l’eau. Anaïs et Manu ont l’habitude.

 

- Manu ? demande Anaïs.

- Oui ? répond Manu.

- C’était sérieux, ce que tu as dit tout à l’heure ?

- Quoi ? Quand j’ai suggéré que tu fasses de la philo avec moi ? demande Manu.

- Non. Que tu voulais te marier avec moi quand on était petits.

 Un silence se fait. On sent que Manu hésite un peu à répondre. Puis, finalement, il prend une inspiration profonde et se jette à l’eau :

- En fait, oui.

- Ah, dit Anaïs. C’est marrant, je ne m’en étais jamais aperçue.

- Ben, dit Manu, je suis plutôt du genre discret. Et puis, c’était quand on était petits.

- Oui, c’est vrai, quand on était petits, répond Anaïs.

Un nouveau silence se fait entre les deux amis. Cette fois, c’est Manu qui prend l’initiative de l’interrompre. 

- Et toi ? demande-t-il.

- Quoi, moi ? réplique Anaïs.

- Toi aussi, tu voulais te marier avec moi ?

- Quand on était petits ? ajoute Anaïs, comme pour gagner du temps.

- Ben, oui ! répond Manu.

- Non. Quand on était petits, je ne voulais pas me marier avec toi, réplique Anaïs rapidement, peut-être un peu trop vite.

 Manu accuse le coup. Toutes ces années, il avait secrètement espéré qu’Anaïs éprouvait pour lui un peu plus que de l’amitié, mais sans jamais oser lui en parler. A ce moment, Anaïs se tourne vers lui et voit la profonde déception qu’il ne peut masquer. Elle se penche vers lui et elle l’embrasse sur le coin de la bouche. 

Manu en reste sans voix. Il la regarde, ouvre la bouche sous l’effet de ce baiser et la referme presque aussitôt, lorsque le sens du geste d’Anaïs pénètre son cerveau. Puis, elle lui dit tout doucement à l’oreille :

- Tu vois, Manu, ce qu’il y a de bien, c’est que maintenant on est grand. Et quand on est grand, on se rend compte que, quand on est petit, des fois, on se trompe. Alors je ne sais pas si je veux me marier avec toi, mais on pourrait essayer d’être un peu plus que des amis d’enfance. Enfin, si tu le veux.

 Ils se regardent en silence. Anaïs sourit, mais Manu est encore sous le choc de la révélation qu’elle vient de lui faire.

- Tu plaisantes ? finit-il par articuler pour se donner une contenance.

- Tu me connais ! Jamais sur cette plage ! C‘est sacré, répond Anaïs.

- Tu penses que c’est une bonne idée ? ajoute-il avec difficulté.

- Si on n’essaye pas, on ne le saura jamais, dit-t-elle doucement.

- Un requin ! Un requin ! s’écrie une voix masculine dans le lointain, suivi d’un double hurlement de panique et d’une cascade de rires.

- Voilà. Jonathan a encore frappé ! dit Anaïs.

- Les pauvres, si elles restent avec nous, elles vont devoir s’habituer à son humour !

Manu se penche alors vers Anaïs, pour l’embrasser longuement. Cela faisait des années qu’il en avait envie, il n’avait jamais osé le faire et maintenant il en profite. Ils ne s’interrompent que lorsqu’ils entendent leurs copains revenir près du feu, nus comme des vers. Les nageurs se pressent autour du feu, pour se sécher. Anaïs et Manu les regardent et se mettent à glousser sans pouvoir s’arrêter, comme deux gamins pris en faute.

 - On dirait que la chaleur du feu vous est montée à la tête, à tous les deux ! dit Alice qui sent qu’il s’est passé quelque chose. Ou bien avez-vous fini toutes les bouteilles, pour glousser comme ça ? Vous êtes sûr que ça va?

- Oui, oui, dit Anaïs. On a décidé qu’à partir de maintenant on était adultes.

- On voit ça, réplique Guillaume avec un sourire en coin, à l’attention de Manu.

 Et pour changer de sujet, Anaïs, un peu moqueuse, remarque :

- Nicolas et Laura manquent à l’appel. Ils se sont fait manger par un requin ?

- Ce n’est vraiment pas de chance ! C’est toujours Nicolas et une jolie fille qui se font manger ! répond Manu avec un grand sourire heureux.

- Ceci dit, ajoute Jonathan, je ne sais pas ce qui est le plus dangereux pour Laura : le requin ou Nicolas.

- Pourquoi ? Qu’est-ce que tu veux dire ? demande Kevin que le bain de mer a dégrisé et qui semble s’inquiéter pour sa cousine.

- Non, Kevin, je plaisante, dit Jonathan pour le rassurer.

 Une fois rhabillés, ils s’asseyent de nouveau autour du feu et font circuler le paquet de chips, le reste des guimauves et de quoi boire. Alex a ressorti son téléphone et fixe l’écran avec concentration. Guillaume et Manu le regardent faire avec un petit sourire en coin. Il ne fait peut-être pas de selfies, mais il ne peut vraiment pas vivre sans ! 

  - Ce qui peut nous aider à changer le monde, c’est qu’aujourd’hui avec internet on a accès à tout ce que nous voulons savoir… dit Guillaume en imitant la voix d’Alex.

- Mais ces mêmes outils en ligne ne sont pas très efficaces pour nous aider à découvrir ce que nous devrions savoir, ajoute Manu, qui finit la phrase à sa place. 

Guillaume et Manu, complices, se regardent en riant. Alex relève la tête et les observe avec surprise en entendant les mots qu’il a si souvent prononcés, cette semaine. C’est son mantra.

  - Oui, tu vois, on écoute bien ce que tu dis et nous avons une bonne mémoire. Tu nous as déjà cité plusieurs fois ton gourou informatique. Comment il s’appelle déjà ? dit Guillaume.

- Zuckerman, Ethan Zuckerman, répond Alex.

- Ah ! Je le connais, c’est le directeur de Facebook ! dit Morgane, ravie de participer.

- NON ! Le CEO[3] de Facebook c’est Mark Zuckerberg, corrige Alex sèchement, comme piqué par une guêpe. Il ne faut pas confondre. Ça n’a rien à voir !

- Oh, pardon, répond Morgane, surprise par la vivacité de sa réaction.

 Et Alice de rajouter, sur un ton un peu moqueur, mais plein de tendresse :   

- Pour quelqu’un qui est sur Facebook si souvent, tu n’es pas très reconnaissant vis à vis de son créateur !

- Ce qui me gave, avec tous ces entrepreneurs high-tech de la Silicon Valley, répond Alex sur un ton exaspéré, c’est qu’ils disent qu’ils vont sauver le monde avec leurs technologies et en fait, ils abrutissent les gens et ils s’en mettent plein les poches. Je ne supporte pas ça. 

-  Je suis bien d’accord, dit Kevin, devenu un peu belliqueux. Moi j’aimerais bien ne plus être au chômage. Ce n’est pas juste quoi. J’ai suivi les conseils qu’on m’a donnés et quand je suis arrivé pour bosser avec mon CAP[4], on m’a dit qu’il n’y avait pas de travail dans ce secteur. Où faut-il commencer pour changer tout ça?

- Oui, c’est moche, dit Camille. Moi j’aimerai bien vivre dans un monde où il y a plus de justice sociale. C’est pour ça que je voudrais devenir juge.

- Tu devrais plutôt devenir avocate et puis tu gagnerais surement bien plus d’argent en défendant des fripouilles de tout bord, fait remarquer Jonathan, en rigolant.

- Ah ! répond Camille sur le ton irrité de quelqu’un qui a entendu cet argument très souvent. On peut avoir plus de justice en faisant appliquer la loi. Et un bon juge peut faire la différence. En matière de solutions pour les sans-papiers et de protection de l’environnement, par exemple, c’est possible. Et il suffirait juste de modifier un peu certaines lois pour avoir de meilleurs résultats.

- Moi, j’aimerai bien une loi qui me donnerait du travail, réplique Kevin. L’environnement et les sans-papiers, je m’en fous complètement. 

- Comment peux-tu dire ça ? demande Manu un peu choqué. 

- Tu sais être au chômage, ce n’est pas drôle, répond Morgane, pour défendre son frère, alors la justice sociale, qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que cela commence par défendre l’environnement ou les sans-papiers ?

- Tu commencerais où, toi ? demande Guillaume. Et face au silence de Morgane et Kevin, il ajoute : tiens, on va demander à Nicolas et Laura qui, finalement, ont survécu au requin. Tu commencerais où toi, Nicolas, pour changer le système, pour avoir un monde meilleur ? 

 Un peu pris de court par son ami, Nicolas lâche la main de Laura et essaye de retrouver ses sens, tout nu devant le feu. Laura les regarde sans comprendre. Alex ajoute sur un ton un peu ironique : 

- Toi, le futur trader, tu vas surement nous dire qu’il faudrait commencer par réformer les marchés financiers !

Nicolas, toujours nu, croise les bras pour se donner une contenance et dit sur un ton docte:

- Alors ça, ça sera très difficile. Il y a tellement d’intérêts en jeu. La politique et le monde des affaires sont tellement imbriqués les uns dans les autres que l’on ne peut pratiquement rien faire. Tu ne renverses pas comme ça des pouvoirs établis.

- Ça, c’est bien vrai, dit Kevin.  

- Alors, parce que c’est trop difficile, vous ne voulez même pas essayer ? Je ne vous trouve pas très optimistes, dit Camille.

- Tu penses que quelques étudiants idéalistes et une poignée de chômeurs frustrés vont faire la différence ? gouaille Laura en se collant contre Nicolas.

- C’est vrai, pour ça, je ne suis pas optimiste, ajoute Nicolas en prenant Laura par les épaules. 

Il souhaite éviter que la discussion entre Camille et Laura ne prenne une tournure désagréable. Et il ajoute : 

- Je ne vois pas trop comment on peut résoudre le problème, c’est très complexe.

- En tout cas, ce n’est pas en baissant les bras avant d’avoir essayé que l’on va changer quelque chose, dit Manu, sur un ton indigné.

- Je sais bien, mais qu’est-ce que tu ferais toi ? On ne m’a pas préparé à cela ajoute Nicolas, pour se justifier. Mes parents sont super conservateurs. L’ordre établi leur va très bien et je crois que je leur ressemble un peu.

- Au moins, tu as l’honnêteté de le reconnaître, dit Jonathan. Ceci dit, cela me ferait plaisir que tu veuilles bien considérer la possibilité d’utiliser ton intelligence et tes compétences pour changer le cours des choses, au lieu de te contenter du statu quo qui nous conduit droit dans le mur.

- Que veux-tu dire ? répond Nicolas, un peu piqué de ce commentaire, surtout avec Laura à ses côtés.

 Et Jonathan d’ajouter :

- Que tu vas infiltrer le système bancaire pour le changer de l’intérieur. Moi, je vais devenir prof pour enseigner le futur à mes élèves. Et ensemble, on va changer le monde.

 Alors Manu dit : 

- Tu le sais aussi bien que moi, Nicolas. Si l’on n’abandonne pas le capitalisme sauvage et notre mode de vie fondé sur la consommation, l’humanité aura bientôt disparu. Comme les dinosaures.

- Mais peut-être que la planète se porterait mieux sans nous, ajoute Alice.

 Un court silence se fait, interrompu par Laura, qui souhaiterait être un peu plus le centre d’attention :

- A propos de consommation, on ne pourrait pas boire un coup ? 

- Ah ! Voilà les bonnes intentions qui refont surface, répond Nicolas à Jonathan et Manu, ignorant la remarque de Laura.

- Que tu le veuilles ou non, il ne s’agit plus de bonnes intentions : si on n’agit pas vite pour sauver la planète, on ne sera plus assis sur cette plage pour en parler dans trente ans, réplique Jonathan d’une seule traite.

- Mais pourquoi est-ce que vous vous prenez la tête ? réagit Morgane. On ne va pas se disputer pour ça. Habillez-vous plutôt. J’ai froid, rien qu’en vous regardant.

- Justement, c’est ça le problème : c’est qu’il n’y a pas assez de gens qui veulent changer le monde et qui se prennent la tête avec ça, réplique Guillaume avec froideur.

 Un silence sérieux s’établit, dont Nicolas et Laura profitent, pour se rhabiller. Tous assis autour du feu, ils en regardent danser les flammes, plongés dans leurs pensées respectives. Au bout d’un certain temps, Camille prend la parole :

  - En fait, il faudrait commencer par l’imaginer ce monde nouveau. Et ça c’est difficile. Et puis raconter son histoire, ajoute-t-elle. Il faudrait aussi faire d’autres choix de société, créer un mouvement social, comme Naomi Klein.

- Ça fait des années que j’entends mes parents et leurs amis parler d’un monde meilleur grâce au développement durable. Mais je n’ai pas l’impression que l’on en prenne la direction, dit Alice un peu dubitative. 

- Je ne suis pas d’accord, dit Manu. Vous pouvez me trouver naïf, mais on voit bien que les choses changent. Mon oncle par exemple : il était directeur commercial dans une entreprise de fabrication de produits chimiques, il voyageait partout dans le monde pour les vendre. Et bien il a démissionné l’an dernier en disant qu’il ne voulait plus travailler pour eux. Il a dit qu’il ne voulait plus empoisonner les gens et la planète. 

- Waouh ! dit Morgane incrédule, il a vraiment fait ça ? Il est dingue de lâcher un job comme ça !

- Moi, je dirais que c’est plutôt courageux, ajoute Nicolas un peu surpris et, après quelques instants de silence, il rajoute un peu inquiet : mais il vit comment maintenant ?

- Il a créé sa propre entreprise et aide des coopératives agricoles à produire des légumes, organiquement et biologiquement.

- C’est plutôt radical, comme changement, dit Jonathan, qui envisage sa vie comme fonctionnaire de l’Etat, changeant le système en agissant à l’intérieur.

- C’est bien, d’accord, mais c’est juste un exemple, dit Nicolas sceptique. Je ne sais pas si c’est suffisant pour changer le monde.

- Mais ce sont des exemples qui sont utiles à long terme, dit Camille. C’est ça que je veux dire par créer un mouvement pour changer le monde. Au début, tu n’as que quelques individus qui font les choses différemment, et, petit à petit, leur façon de faire est adoptée par d’autres, qui voient leur intérêt à le faire aussi. Et cela devient le courant majoritaire.

- Mais ce n’est pas tout le monde qui peut faire ça, quand même, ajoute Nicolas. 

- Pourquoi pas ? lui répond Manu. C’est justement pour cela qu’il faut un revenu de base correct, pour tous, sans conditions. Pour encourager les gens à changer leurs habitudes.

 Avant qu’ils ne puissent continuer leur échange, la voix de Camille s’élève :

- Hé, regardez, là derrière, vous avez vu ? Qu’est-ce que c’est que cette lueur ? On dirait le soleil ! dit-elle avec une voix pleine d’excitation.

- Quoi ? répondent les autres en chœur, en se retournant.

 Mais ce n’est pas le soleil qui est en train de se lever sur la mer, c’est la lune. Elle a une belle couleur orange. Ils restent tous abasourdis devant cette vision. Ils la regardent sortir de l’eau à l’horizon et monter dans le ciel noir piqueté d’étoiles. Au bout de quelques minutes, elle est là, enfin, ronde, brillante, parfaite. 

- Je n’avais jamais vu ça ! Un lever de pleine lune ! Qu’est ce que c’est beau, dit Manu. C’est bien mieux que le lever de soleil ! 

- Que tu ne vois jamais, hélas, car tu dors comme une souche à cette heure-là, réplique Guillaume, qui connaît bien son Manu.

 Ce faisant, il attrape la guitare posée à coté de lui et se met à jouer pour ses copains. Ils l’écoutent en silence et regardent la lune monter tout doucement au dessus de la mer. A chaque fois, quand il se met à jouer pour eux, il crée une émotion énorme. Dès que ses doigts courent sur les cordes, c’est comme si le temps s’arrêtait. La magie du moment n’échappe à personne. Et le « Clair de Lune de Claude Debussy » est tout à fait de circonstance. 

 Pendant que Guillaume joue doucement, Camille prend la parole sur une voix presque imperceptible :

- Moi, je le vois bien notre nouveau monde. Vous voulez que je vous le raconte ? demande-t-elle un peu hésitante.

- Oui, raconte-nous une belle histoire, je t’accompagne à la guitare, lui répond Guillaume.

- Alors voilà, dit Camille. Il était une fois une petite plage bien tranquille dans le sud de la France, au pied des Pyrénées. Nous sommes 50 ans après l’accord de Paris, en 50 après la COP, comme on dit maintenant. Hélas, les décisions prises durant la COP21, à Paris, n’ont pas toujours été suivies d’actions, et pour certaines, trop tardivement. 

 Elle se tait quelques secondes, pour laisser ses amis comprendre ce qu’elle a dit. Puis elle reprend :

  - Notre petite plage, elle-même, a disparu depuis longtemps, sous l’effet de la montée du niveau des mers et des tempêtes qui ont emporté son sable, mais sa présence est encore vive dans le souvenir de ceux qui l’ont connue. Au fil du temps, elle était devenue, dans la région, un symbole de résistance sociale. D’abord aux « bétonneurs » puis aux « carbonistes » de tous bords. 

 Les amis autour du feu se sourient. Après la résistance du petit village gaulois, voici venue la période de la résistance catalane. Camille a toujours su raconter des histoires.

  - C’est aussi l’année où la Cour Internationale des Droits de la Planète va rendre son jugement. C’est là que je siège, depuis quelques années. Les membres des conseils d’administration de grosses multinationales, qui ont fait du lobby contre l’accord de Paris et de la résistance à sa mise en œuvre, ainsi que les gouvernements de plusieurs pays qui ont laissé faire, vont devoir rendre compte de leurs crimes contre l’humanité et la planète…

A ce moment là, le vent se lève brusquement sur la plage bien tranquille. Il emporte quelques flammèches, mais sans conséquence. Camille continue à raconter le futur du monde, mais la suite de son histoire est emportée vers la colline, par les bourrasques. Les mots de son histoire s’accrochent aux épineux qui y poussent. Quand ces ronces vous tiennent, elles ne vous lâchent plus.

FIN

Nouvelle écrite pendant l’été 2015 et publiée pour la premiere fois dans le recueil de nouvelles : Une petite plage bien tranquille (voir mes livres)

[1] Etats-Unis

[2] RSA : Revenu de solidarité active

[3] CEO : Chief Executive Officer – Directeur Général

[4] CAP : Certificat d’Aptitude Professionnelle

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Lucie Bidaou

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